3 Avril 2023

Dans le cadre des efforts du Conseil arabe de lutte contre l’impunité et de défense des droits et libertés économiques et sociaux des peuples arabes, le « Portail du litige strategique » affilié à la Fondation Conseil arabe a déposé une plainte générale le 3 avril 2023, concernant la détérioration du dispositif législatif de lutte contre la corruption en Tunisie après le changement politique intervenu le 25 juillet 2021, et la régression des engagements issus des conventions internationales de lutte contre la corruption, aupres des instances onusiennes suivantes :

Le Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats.
Le Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition.
Le Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l’homme.
Le Rapporteur spécial sur les libertés de réunion et d’association pacifiques.
Le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression.
Cette plainte met en lumière la corruption généralisée en Tunisie, passe en revue les changements survenus dans la lutte contre la corruption dans le pays depuis la révolution de 2011, la législation la plus importante promulguée depuis cette période pour lutter contre la corruption en Tunisie, et jusqu’à l’actuel président Kais Saied, après le changement politique qu’il a opéré seul le 25 juillet 2021, et ce qu’il a pris de décrets et pris de mesures susceptibles d’entraver la lutte contre la corruption et de menacer la sécurité et la liberté des lanceurs d’alerte et des individus corrompus. Cela met en péril la plupart des acquis obtenus au cours de la période qui a suivi la révolution dans la mise en œuvre des engagements découlant de la Convention internationale contre la corruption et d’autres accords pertinents.

La plainte a été préparée par un groupe d’avocats travaillant à l’observatoire de surveillance et au Conseil arabe, et s’appuie sur des informations et des témoignages documentés par de nombreuses organisations de la société civile tunisienne luttant contre la corruption, notamment l’Observatoire Raqabah. Il comprend des exemples recueillis lors du processus de suivi sur le terrain des pratiques liées à la corruption en Tunisie.

En outre, le groupe de travail s’est appuyé sur la Convention des Nations Unies contre la corruption de 2003, que la Tunisie a signée en 2008, ainsi que sur plusieurs études et rapports qui ont été examinés.

Le rapport se termine par des recommandations au gouvernement tunisien :

– Exhorter le gouvernement tunisien à appliquer, développer et faire respecter les lois existantes relatives à la lutte contre la corruption conformément aux normes internationales, en particulier celles stipulées dans la Convention des Nations Unies contre la corruption de 2003, dont la Tunisie est signataire.

– Demander au gouvernement tunisien d’abroger toute législation ou décision contraire aux engagements de l’État au titre de la Convention internationale contre la corruption, qui ont été prises unilatéralement par le président de la République pendant la période suivant sa déclaration de mesures exceptionnelles le 25 juillet 2021.

– appelant le gouvernement tunisien à mettre fin à l’état d’exception et d’urgence, et à œuvrer à la mise en place de la Cour constitutionnelle et des instances constitutionnelles indépendantes prévues par la Constitution de 2014, dont l’Instance supérieure indépendante pour les élections, la Haute autorité de la communication audiovisuelle, la l’Autorité des droits de l’homme, l’Autorité de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption, l’Autorité du développement durable et l’Autorité des droits des générations futures.

– Exiger de l’exécutif tunisien la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature provisoire, qui a été formé par le président de la République par volonté unilatérale et sans les garanties minimales d’indépendance judiciaire, et l’abrogation des décrets et décisions qu’il a pris, y compris la révocation de juges, et toute mesure portant atteinte à l’état de droit, à la séparation des pouvoirs et à l’indépendance du pouvoir judiciaire dans le pays, et violant les obligations de la Tunisie en vertu du droit international des droits de l’homme, et appelant au rétablissement du Conseil supérieur de la magistrature élu.

– Exhorter le gouvernement tunisien à promulguer une loi spéciale pour les urgences qui réglemente l’état d’urgence, qui exige des pouvoirs spéciaux et limités pour restreindre certaines libertés afin de maintenir temporairement l’ordre public, conformément aux accords internationaux pertinents, et d’assurer un contrôle judiciaire, avec une claire distinction entre l’état d’urgence et l’état d’exception pour prévenir les abus de pouvoir du Président de la République sur la base de données empiriques qui ne justifient pas une telle situation. Cela devrait inclure une révision des réglementations régissant l’état d’exception, leur réglementation ultérieure dans la constitution et la mise en place rapide d’une Cour constitutionnelle indépendante.

– Il est demandé au gouvernement tunisien d’incorporer tous les actes de corruption inclus dans la Convention des Nations Unies contre la corruption dans le système juridique tunisien, y compris les actes de corruption liés aux agents publics étrangers.

– Le gouvernement tunisien est instamment prié de faire respecter la loi sur la déclaration de patrimoine en tant qu’obligation constitutionnelle contraignante et d’exiger des fonctionnaires et des parlementaires qu’ils déclarent leur patrimoine lors de leur prise de fonctions et qu’ils les publient en vertu de la nouvelle loi sur la liberté d’information, afin qu’ils soient accessible aux tunisiens.

– Il est demandé au gouvernement tunisien de fournir toutes les garanties pour l’existence d’un pouvoir judiciaire pleinement indépendant capable de faire appliquer les lois anti-corruption, d’instituer une cour constitutionnelle et d’assurer l’indépendance du pôle judiciaire économique et financier.

– Le gouvernement tunisien est invité à revoir le barème des peines et à imposer des sanctions qui reflètent la gravité du crime en imposant des amendes et des peines de prison raisonnables selon le type de crime de corruption, en particulier les crimes de corruption très répandus et dangereux.

– Le gouvernement tunisien est appelé à prendre des mesures urgentes pour protéger les lanceurs d’alerte qui ont reçu des décisions de protection de la part de « l’Autorité nationale anti-corruption » et d’autres, et à renforcer les mesures de lutte contre les représailles et la vengeance contre les lanceurs d’alerte.

– Le gouvernement tunisien est invité à assurer la pérennité des mesures anti-corruption et à créer un système efficace de lutte contre la corruption qui ne soit pas basé sur des considérations personnelles. La corruption ne doit pas être tolérée en Tunisie, et une stratégie durable de lutte contre la corruption doit être poursuivie pour démanteler les structures qui ont permis la corruption sous le régime précédent et après la révolution.

– Le gouvernement tunisien est invité à fournir un accès numérique aux services publics aux niveaux local et national, ce qui contribuera à réduire la bureaucratie et à éliminer les possibilités de corruption à tous les niveaux de gouvernement.

– Le gouvernement tunisien doit être exhorté à lever les restrictions au droit d’accès à l’information, ainsi que toute mesure prise contre l’Autorité d’accès à l’information, et à abroger tout règlement ou instruction visant à établir des règles contraires à la loi fondamentale n° 22 de 2016, du 24 mars 2016, relative au droit d’accès aux informations. Cela comprend l’annulation du décret du Premier ministre n° 18 de 2022, qui concerne le « renforcement des mécanismes de protection des données personnelles » et oblige l’administration à demander une licence à l’Autorité nationale de protection des données personnelles dans tous les cas et sans exception. pour chaque opération de traitement de données personnelles. Elle impose également une consultation automatique et l’obligation de consulter la même autorité sur toute question ou question relative aux données personnelles.

– Le gouvernement tunisien doit exiger la fourniture de toutes les garanties d’indépendance aux magistrats du Pôle Judiciaire Economique et Financier et éviter de les impliquer dans des dossiers à dimension politique, tout en leur permettant de disposer de toutes les conditions matérielles appropriées pour exercer leurs fonctions, notamment en augmentant le nombre de juges d’instruction et d’assistants administratifs et de leur fournir un nombre suffisant d’experts et les formations nécessaires. Ils doivent également leur fournir toutes les garanties de protection dans un lieu approprié offrant les services nécessaires.

– Le gouvernement tunisien doit abroger la décision de fermeture de l’Autorité nationale de lutte contre la corruption et autoriser la réouverture de ses bureaux, restituer à l’autorité tous les dossiers, documents et équipements saisis par le ministère de l’Intérieur et garantir son indépendance dans l’exécution ses devoirs et fonctions, avec la nomination d’un président et d’un secrétaire général indépendants, exceptionnellement, jusqu’à l’élection des membres d’une autorité légitime de lutte contre la corruption par un parlement légitime, conformément à l’article 6 de la Convention internationale contre la corruption.

– La communauté internationale doit donner la priorité au financement des organes de lutte contre la corruption et des institutions de surveillance officielles et civiles, ce qui enverra un message au gouvernement tunisien qu’il prend cette affaire au sérieux et la considère comme d’une importance particulière. Le gouvernement doit faire de même, d’autant plus qu’il affirme que la lutte contre la corruption fait partie de ses priorités.

– Le gouvernement tunisien doit prendre des mesures efficaces pour lutter contre la corruption et veiller à ce que tous les responsables, qu’ils soient politiciens, fonctionnaires ou hommes d’affaires, soient tenus responsables de leurs actes. Ils doivent également mettre en place des mécanismes efficaces pour prévenir la corruption, enquêter et poursuivre les cas de corruption et récupérer les avoirs volés. Le gouvernement doit également garantir la protection des lanceurs d’alerte et veiller à ce qu’ils ne fassent pas l’objet de représailles ou de persécutions pour avoir dénoncé la corruption.

– Il est demandé au gouvernement tunisien de ne pas restreindre le travail de la société civile en Tunisie, en particulier les organisations concernées par la lutte contre la corruption, en garantissant la liberté de former des associations et d’y adhérer, la liberté de réunion pacifique, la liberté d’accès à l’information, et garantir la liberté des médias de travailler librement.

Le Conseil arabe remercie tous les avocats et défenseurs des droits de l’homme qui ont participé à la rédaction de la déclaration, ainsi que toutes les victimes qui ont fourni leurs témoignages au Conseil arabe. Le Conseil s’engage à donner suite aux résultats de cette déclaration et à la réponse des parties concernées pour protéger le système législatif de lutte contre la corruption en Tunisie et faire cesser toutes les violations de ce droit et punir tous ceux qui sont impliqués dans de telles violations. Signé, Président Moncef Marzouki Président de la Fondation du Conseil Arabe

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